Contribué par Laiba Asad
Introduction
Le 26 octobre 2020 le Sénat américain confirme Amy Coney Barrett à la Cour suprême. Elle est une fervente catholique et grande admiratrice d’Antonin Scalia, un ancien juge conservateur de la Cour suprême. Barrett a mentionné lors de son audition qu’elle ne considère pas Roe v Wade comme un « super précédent », c’est-à-dire une décision qui ne peut pas être renversée à toute fin pratique. Ainsi, avec dix-sept dossiers sur l’avortement qui sont près d’être entendus par la Cour suprême et une majorité conservatrice qui y siège, il est possible que Roe v. Wade soit renversé ou affaibli dans l’avenir.
Ainsi, avec dix-sept dossiers sur l’avortement qui sont près d’être entendus par la Cour suprême et une majorité conservatrice qui y siège, il est possible que Roe v. Wade soit renversé ou affaibli dans l’avenir.|| (Source : creativecommons // zacklur)
Les lois sur l’avortement avant Roe v. Wade
L’avortement était légal aux États-Unis jusqu’en 1821, s’il était performé avant le mouvement fœtal. En 1821, le Connecticut passe la première loi criminalisant l’avortement, et vers la fin du 19ème siècle, les autres l’États l’interdisent également. Dans les années 1950, un changement survient lorsqu’un groupe de professionnels, formé principalement d’avocats, de médecins et de membres du clergé, commencent à s’interroger sur l’interdiction à l’avortement. Vers les années 1960, les débats sur l’avortement s’intensifient considérablement et impliquent des préoccupations à propos de la pauvreté, la liberté sexuelle et le féminisme, entre autres. Ils encouragent les États à élaborer des mesures législatives afin de permettre aux femmes d’avoir accès à l’avortement sous certaines circonstances. Vers les années 1970, vingt États mettent en place des lois pour reformer leurs lois sur l’avortement existantes alors que quatre États (New York, Washington, Alaska et Hawaii) légalisent l’avortement. Les autres États interdisent l’avortement dans presque toutes les circonstances.
Roe v. Wade et son impact sur le droit à l’avortement et d’autres lois sur l’avortement aux États-Unis
L’affaire Roe v. Wade (1973) concerne Jane Roe, une femme au Texas qui disait être tombée enceinte après avoir été victime d’un viol collectif. La loi sur l’avortement au Texas permettait l’avortement seulement si la vie de la femme était en danger. Ainsi, Jane Roe décide de poursuivre l’État du Texas, et en 1970, elle dépose un recours collectif à la Cour de district fédéral de Dallas. La Cour conclue que la loi sur l’avortement du Texas était inconstitutionnellement vague et brimait le droit des femmes à la liberté reproductive. L’État du Texas va en appel à la Cour suprême, ce qui mène à l’arrêt Roe v. Wade.
En 1973, la Cour suprême a trouvé la loi sur l’avortement du Texas inconstitutionnelle pour deux raisons principales. Premièrement, cette loi interdisait le droit à la vie privée aux femmes – une liberté fondamentale protégée par le 14ème amendement de la Constitution. Ainsi, le droit à l’avortement, compris dans le droit à la vie privée, est protégé par la Constitution. Deuxièmement, cette loi interdisait l’avortement à une exception près sous le prétexte que le fœtus était considéré comme une personne sous le 14ème amendement de la Constitution. Cependant, la Cour établit que le fœtus n’est pas reconnu comme une personne par la loi et par conséquent ne peut pas être protégé par la Constitution.
L’arrêt Roe v. Wade précise que les États doivent permettre l’avortement non seulement dans les cas de viol, mais tous les cas. En établissant le droit à l’avortement, qui est maintenant protégé par la Constitution, il a légalisé l’avortement partout aux États-Unis et chaque État doit avoir au moins une clinique d’avortement.
Le droit à l’avortement et l’accès aux soins de santé aux États-Unis
La décision de Roe v. Wade affirme que le droit à l’avortement est constitutionnel, elle intègre également l’accès aux soins de santé à ce droit. Cependant, l’accès à l’avortement comme soin médical a été limité notamment par des restrictions quant aux procédures d’avortement permises. Par exemple, dans l’affaire Gonzales v Carhart, la Cour suprême soutient l’interdiction fédérale d’une procédure d’avortement nommée l’avortement par naissance partielle. Avec des restrictions de ce type, les médecins ne peuvent pas toujours offrir les meilleures procédures d’avortement à leurs patientes.
De plus, malgré Roe v. Wade, des restrictions sur l’avortement ont été mises en place dans plusieurs États. Que ce soient exiger les cliniques à répondre à des normes similaires à celles imposées dans les hôpitaux ou limiter la couverture d’assurances pour les avortements, ces restrictions ont un impact important sur l’accès à l’avortement. Elles font que certaines régions américaines sont laissées avec peu ou aucune clinique d’avortement, ce qui rend l’accès à l’avortement très difficile, surtout pour les femmes qui se trouvent loin de ces cliniques.
Il existe aussi des règlements dans les États régissant l’information concernant l’avortement à laquelle les femmes ont accès. En Oklahoma, la législation requiert que les patientes aient une échographie et permet aux médecins de ne pas divulguer l’information quant aux anomalies fœtales aux patientes. Cette législation force les patientes à avoir de l’information qu’elles ne désiraient pas nécessairement avoir, et les prive d’informations qui pourraient avoir un impact sur leur décision d’avoir un avortement ou pas.
Sous certaines lois fédérales et étatiques avec des « clauses de conscience », des institutions et des individus peuvent refuser d’offrir l’avortement et d’autres soins médicaux à des patientes. Il existe aussi des lois étatiques restreignant l’accès à des médicaments pour l’avortement.
Il existe des règlements dans les États pouvant limiter l’information sur l’avortement à laquelle les femmes ont accès.|| (Source : creativecommons // ConwayStrategic)
Effets du renversement ou de l’affaiblissement de Roe v. Wade à l’accès à l’avortement dans les États
Le renversement ou l’affaiblissement de Roe v. Wade ne signifierait pas que l’avortement devient automatiquement illégal aux États-Unis. Il aurait plutôt comme effet de laisser les États décider du droit à l’avortement. Selon des recherches de Middlebury College (2019), dans plus de la moitié des États, y compris l’ouest et le nord-est du pays, l’avortement serait encore accessible sans Roe v. Wade. Toutefois, ça ne serait pas la même situation dans d’autres États puisque ces recherches ont également trouvé que le taux d’avortement pourrait diminuer de 13% dans le pays avec le renversement de Roe v. Wade.
En 2019, l’Alabama, l’Arkansas, la Géorgie, le Kentucky, le Missouri et l’Ohio, entre autres ont passé des lois interdisant l’avortement, mais les tribunaux les ont invalidées avant qu’elles n’aient pu prendre effet. Selon des experts légaux, ces États qui ont déjà passé des « trigger law » (des lois qui peuvent devenir opérantes avec un changement de législation), interdiraient l’avortement immédiatement après le renversement de Roe v. Wade. Treize autres États interdiraient probablement l’avortement également. Dans ces États généralement, il n’y a qu’une seule clinique d’avortement ; Roe v. Wade étant la seule chose qui y rend le droit à l’avortement légal parce qu’il n’est pas protégé par des lois étatiques, ni la constitution de l’État. Ainsi, avec le renversement de Roe v. Wade, la seule clinique d’avortement disponible dans ces États pourrait fermer ses portes. Il serait tout de même possible pour les femmes de se déplacer à des États voisins, ce qui peut être difficile pour plusieurs, comme les femmes à faible revenu. Celles qui ne peuvent pas se déplacer à une clinique pour des raisons diverses seraient généralement les plus affectées par l’interdiction du droit à l’avortement. Si elles n’arrivaient pas à se rendre à une clinique d’avortement, ces femmes pourraient chercher des alternatives comme des pilules abortives procurées clandestinement d’autres États, ou encore des procédures illégales et moins sécuritaires d’avortement.
Effets du renversement ou de l’affaiblissement de Roe v. Wade sur le Canada
En 1988, avec l’affaire R v. Morgentaler, la Cour suprême du Canada conclut que, la disposition 251 du Code criminel qui criminalisait l’avortement est inconstitutionnelle en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. L’article 7 accorde le droit à la liberté, ce qui comprend l’autonomie des femmes dans les choix touchant leurs vies privées. Cette affaire décriminalise l’avortement partout au Canada et devient un précédent important qui n’a pas été changé depuis 1988.
Il n’y a donc pas de loi sur l’avortement au Canada étant donné qu’il a été décriminalisé. Il est considéré comme étant une procédure médicale, dont l’accès est contrôlé par les provinces. Étant donné que le droit criminel est une compétence fédérale, les provinces n’ont pas les mêmes capacités que les États américains. De plus, au Canada, le débat sur l’avortement n’est pas abordé par les dirigeants fédéraux et provinciaux, contrairement aux États-Unis où ce débat est ranimé constamment. Il est donc improbable que l’avortement serait criminalisé au Canada si Roe v. Wade est renversé. Toutefois, il est indéniable que le mouvement pro-vie américain affecte le mouvement pro-vie au Canada.
Une préoccupation au Canada est l’accès à l’avortement. L’accès est souvent mieux dans les milieux urbains par rapport aux milieux ruraux. Dans les milieux ruraux, plusieurs services de santé n’offrent pas l’avortement ou n’offrent que certaines procédures comme l’avortement chirurgical. Certaines femmes canadiennes qui vont aux États-Unis, dans les États de Washington, Colorado et Nouveau-Mexique par exemple, pour se procurer des services d’avortement. Toutefois, si Roe v. Wade est renversé, ces femmes canadiennes auront plus de difficulté à accéder à ces services aux États-Unis parce que les lois étatiques sur l’avortement changeraient.
Conclusion
Roe v. Wade est une décision historique de la Cour suprême qui a légalisé l’avortement aux États-Unis. Malgré cette légalisation, l’accès à l’avortement reste un enjeu important. Le problème d’accès à l’avortement s’aggraverait probablement si Roe v. Wade est affaibli ou renversé par la Cour suprême puisque ceci donnerait aux États le pouvoir de légiférer leurs propres lois sur l’avortement.
Laiba Asad est une rédactrice junior en ligne pour la Revue de droit et de santé de McGill et étudiante en première année de BCL/JD à la Faculté de droit de l’Université McGill. Avant de rentrer à la faculté de droit, elle a obtenu son DEC en sciences de la santé (BI) du Collège Jean-de-Brébeuf.